Ecrivez une courte page sans figures de style
C’était
un matin. Il s’en souvient toujours aussi bien. Il y a vingt-sept ans pourtant.
Il était allongé par terre, l’herbe
humide lui chatouillait les reins. Il
faisait doux, il était seul. Une voix l’appela au loin, suppliante. Mais il ne
bougea pas, il était bien. La lumière avait cette pâle couleur du début de la
journée, presque éblouissante, qui nous fait fermer les yeux. A travers la fente
de ses paupières entrouvertes il regardait défiler les nuages qui, poussés par
le vent, prenaient des formes de continents et de sourires en coin. La voix s’intensifiait,
persistante, implorait de l’aide. Il ferma ses yeux, écouta la nature. Une légère brise faisait
remuer les branches des sapins dans un bruissement presque imperceptible, les
chants des oiseaux les plus matinaux résonnaient dans la vallée, mais la voix
grinçante couvrait cette harmonie de ses appels continuels. Bientôt ce furent
des cris qui retentirent, des cris de détresse. Calmement il ouvrit les yeux, s’habitua
à la lumière, se leva. On criait son prénom, on appelait au secours. Il se baissa
pour cueillir un bouquet de pâquerettes, puis il regarda avec attention les
fleurs dans sa grande main. Certainement, elles lui plairont ! Il en
cueillit quelques autres et respira leur parfum avant de se relever. Le chant
plaintif de la voix était percé d’une douleur aiguë, profonde. Enfin il se
décida à la rejoindre. Il souriait d’aise, il riait même. Les hurlements se
rapprochaient, se faisaient de plus en plus forts, de plus en plus intenses. Lorsqu’il
l’aperçut, à genoux dans les cendres qui
tapissaient le sol, il eut pitié. Elle traînait sa robe blanche dans la poussière
du sol terreux, et le fard de ses paupières, en dégoulinant, dévisageaient son
portrait d’ange. Son voile de vierge était recouvert de boue. Elle s’éreintait,
se roulait de désespoir dans les cendres de son jeune époux. Elle ne l’entendit
pas arriver, elle saisissait des poignées de poussière et se les fourrait dans
la bouche. Le jour de son mariage, quelle ironie tragique. Ce n’est qu’au bout
d’un moment qu’elle sentit une main chaude posée sur son épaule nue,
réconfortante. Il la releva, lui prit le visage entre ses mains. Elle n’était
pas seule, il serait toujours là pour elle. Alors, exténuée, elle s’évanouit d’épuisement
dans les bras qui se présentaient à elle. Il lui décora les cheveux du bouquet
de pâquerettes qu’il avait composé, et, avant de prendre soin d’elle, il admira
les dernières flammes qui achevaient les ruines de la chapelle. Quel spectacle !
Après tant d’efforts et de préparatifs, il avait réussi son chef-d’œuvre, elle
serait à lui un jour ou l’autre.
M.