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Sur les mains '' ''
7 décembre 2008

I Crudeli di Bosa Marina

 

 1.

 

Il y en avait de toutes les couleurs, des rouges, des jaunes, même des violets. Certains avaient la couleur du sable et d’autres portaient sur leurs écailles les couleurs de l’arc-en-ciel. Ils déambulaient entre les rochers, venant de toutes parts, se cachant derrière des coraux et se faufilant à travers les algues. Ils se déplaçaient en bancs, pour la plupart synchronisés et prudents, attentifs au moindre danger éventuel, mais d’autres cependant restaient solitaires, faisant preuve d’orgueil et de confiance. Les oursins eux, restaient calmes, tranquilles, agressifs contre leur gré, victimes des prédateurs affamés malgré leurs solides épines. La mousse moelleuse s’accrochait aux pierres, immobile, mais laissant tout de même quelques unes de ses plus longues tiges onduler dans un sens, ou dans un autre selon la force du courant de cette mer limpide, en témoin de la vie sous-marine. Les poissons s’agglutinaient autour des rochers, tandis qu’au large on ne voyait que du bleu et du sable à l’infini. L’eau était douce et veloutée, palpable et fuyante, amicale et effrayante, salée et accueillante. Elle n’était pas agitée ni violente, mais semblait posséder une forte personnalité, autant chaleureuse que présomptueuse. Sa couleur était à la fois uniforme et diverse, si claire qu’elle en était transparente à la surface et non moins sombre que la nuit dans ses profondeurs. Les rayons du soleil brûlant étaient des raies de lumière et de chaleur transperçant par endroits l’onde azurée, comme les astéroïdes traversent les nuages, égarés et ne sachant plus où se perdre entre Terre et ciel. Sur la côte, le vent iodé rafraîchissait l’atmosphère bouillonnante qui, à l’intérieur des terres, assoiffait les myrtes. Le sable chaud de la plage était fin et presque blanc, étendant sa puissance et son ampleur sur tout le tour de l’île. Il bordait ce grand morceau de terre sèche, l’encerclant de tous côtés, comme s’il le maintenait hors de l’eau, empêchant ses basses montagnes de se faire engloutir par la mer pourtant peu menaçante.

Les pierres rouges du littoral s’étaient peu à peu couvertes de petits villages qui ensorcelaient tous ceux qui y passaient. Les façades décrépites des maisons reflétaient leurs couleurs anciennement vives sur les pavés poussiéreux. Le temps et le soleil avaient usé, au fil des années, les murs jaune d’or, orangés, rose fushia, de coloris éclatants autrefois, leur donnant des teintes pastelles, plus douces. Dans les rues de Bosa passait un souffle de simplicité, il parcourait la ville en s’immisçant dans les ruelles étroites et les escaliers pentus, allait jusqu’au port et longeait il Temo, pénétrait dans les auberges et s’envolait dans les montagnes. Cette atmosphère était présente à chaque recoin de la ville, cette impression qu’en ce lieu, tout était plus facile, que sa vie se jouait à chaque instant, que rien n’était prédit d’avance. Le fleuve qui traversait le hameau donnait à Bosa Marina un aspect de tranquillité, et forgeait son caractère tout à la fois. Chaque personne visitant le village, qu’elles restent une nuit, une semaine ou toute sa vie, gardait un souvenir singulier de cette cité particulière.

 

L’air tiède faisait transpirer la ville dont les pavés étaient encore chauds de la lourde journée. Ce soir-là le bistrot Ofelia d’amore était bondé, les serveuses surpassées couraient de tables en tables tandis que la patronne discutait au comptoir avec un Français de passage en ville, en buvant les verres de Vernaccia qu’elle aurait du servir, en se dandinant pour attirer le regard de l’homme sur sa poitrine débordante et généreuse. Les insulaires habitués occupaient une partie du café, les filles se pavanaient et encourageaient les hommes à les tripoter tandis qu’eux, à moitié souls, passaient leurs mains rudes sur leurs cuisses lisses et grasses, avec sur leurs visages une expression de satisfaction virile lorsqu’ils leur glissaient des billets sous leurs jupes. Mais la plupart de la clientèle était constituée de l’équipage du Capitaine Basileo. I Crudeli, redoutés sur toutes les côtes de la Méditerranée, de l’Adriatique, et même de l’Atlantique, était un groupe de quatorze pirates déjantés sous les ordres d’un capitaine tyrannique et barbare. Ils étaient réputés pour être les plus sauvages, cruels et sans pitié – d’où leur nom – de toute l’Europe, ils pillaient les maisons, violaient les femmes et s’enfuyaient au petit jour après avoir enflammé la ville. Mais Bosa Marina était leur pied à terre, leur point de référence, et l’Ofelia d’amore restait leur fidèle lieu de trêve. Basileo et la patronne Ofelia, amis depuis des années, entretenaient une relation amicale, elle était une des seules personnes à qui le Capitaine accordait sa confiance car ils s’étaient connus enfants à une période de leur vie qui fut déterminante pour tous deux. C’est pourquoi, après chaque long périple, le Capitaine Basileo imposait à ses matelots un passage à Bosa, pour dilapider plus de la moitié de leur butin en coucheries diverses, l’autre moitié étant utilisée pour s’abreuver à ne plus pouvoir se tenir debout. Les pirates, cette fois, revenaient de Cuba d’où ils avaient ramené des tonneaux de rhum et des cigares diffusant des odeurs de muscade. Les hommes enfumaient la pièce étriquée et faisaient couler l’alcool à flots tout en épiant du coin de l’œil quelle demoiselle ils allaient choisir comme compagnie pour la nuit qui s’annonçait très douce. On entendait des rires, aigus ou gras, sincères ou secs, les gorges se renversaient, laissant apercevoir le début des seins ronds s’échappant quelque peu des décolletés trop accueillants. Les mains rugueuses des matelots, abîmées par tant de combats forcenés, souillées de batailles acharnées, ayant fait couler tant de sang mais scintillantes de précieux rubis, caressaient les bassins de ces déesses qui ondulaient leurs corps sensuellement. Les hommes de l’équipage étaient couverts de balafres mal cicatrisées, l’expérience de la piraterie leur ayant laissé des empreintes indélébiles. On disait qu’ils étaient tous tatoués, entre les deux pectoraux, d’un gouvernail entremêlé d’une hache, symbolisant leur mode de vie de pirates sanguinaires, et de marins expérimentés, déterminé par des aventures de toutes sortes à travers les mers. Quoiqu’on en dise, I Crudeli étaient connus dans toute l’Europe. Certains les craignaient, grinçant des dents à la moindre évocation de leur nom, ou de celui du Capitaine, tandis que d’autres les admiraient, rêvant souvent secrètement de pouvoir un jour les rejoindre. Mais entrer dans l’équipage des Crudeli était une tâche laborieuse et dangereuse. Le Capitaine exigeait de voir de ses propres yeux des actions téméraires, une soumission absolue et un engagement à vie, ensuite, s’il était satisfait, il attendait l’accord à l’unanimité de tous les marins de l’équipage. De plus, il ne recrutait de nouveaux pirates que lorsque l’un d’eux les avait quitté, car chacun avait une fonction bien précise, et il n’y avait pas de place pour une personne de plus, elle aurait été de trop.

Basileo était en train de raconter leur pillage de La Havane à trois filles ébahies, vantant leurs miracles et bravoure, lorsque le Français accoudé au comptoir lança un « Tu parles…» qui terrifia toute l’assemblée. Les femmes poussèrent de petits cris de surprises, plaignant intérieurement déjà le triste sort du voyageur, tandis que les marins se figèrent sur place, scandalisés qu’une telle offense puisse être adressée à leur respectable Capitaine. Basileo, lui, au summum de l’étonnement, ne pu réagir tout de suite face à cette insulte inattendue. Les regards jonglaient entre le Capitaine, en attente de la sanction qu’il allait infliger à cet importun, et le Français, affolé lui-même du poids de sa réflexion. Le silence s’empara de l’Ofelia d’amore pendant un long moment, le temps était comme suspendu, la pression montait. Des gouttes de sueur coulaient le long du visage du voyageur, il retenait son souffle en se demandant si sa vie allait s’arrêter d’ici quelques secondes et si c’était le cas, de quelle manière. Une atmosphère d’attente et de tension occupait le café, lorsque soudain, une fille qui était restée un peu à l’écart depuis le début de la soirée s’approcha du Français. Le bruit de ses bottines à talons heurtant le carrelage résonnait entre les murs à chacun de ses pas, elle ne portait qu’une courte tunique qui laissait apparaître des jambes fines et pâles. Un long collier de perles d’argent pendait autour de son coup jusqu’entre ses seins, si petits qu’on ne les devinait qu’à peine sous le voile du vêtement. Ses cheveux châtains remontés à l’aide d’un pic de bois, étaient quelque peu décoiffés et quelques boucles s’échappaient du chignon et tombaient sur ses épaules découvertes. Elle s’avançait de plus en plus près du voyageur, ses yeux persans rivés sur le haut de son torse crispé. Lentement, elle se courba et glissa sa main dans sa botte. Elle en sortit une magnifique dague dont le manche était orné de pierres précieuses, la lame brillante et polie était très aiguisée et semblait impérieuse, coupante. Puis, dans un mouvement fluide et déterminé, elle brandit son bras muni d’acier acéré et trancha d’un coup sec la gorge du Français, ses deux mains pressant l’objet doré. Un jet de sang chaud gicla sur sa robe et éclaboussa son visage. La tête du voyageur roula au sol, salissant le parquet d’une traînée rougeâtre, alors que le corps décapité tituba sur place quelques secondes et tomba à son tour violemment en arrière. Ensuite, sans même s’essuyer le visage, elle se retourna et s’inclina face au Capitaine en posant un genou à terre.

« - Je n’aurais jamais toléré un tel affront, mon Capitaine. » murmura-t-elle.

Basileo l’observa un temps.

« - Tu m’as privé du plaisir que j’aurais eu à corriger mon honneur entravé. Et tu ne fais pas partie de mes matelots, comment peux tu te permettre de m’appeler comme cela ? » grogna-t-il dédaigneux.

Le sang du Français dégoulinait le long des joues de la jeune fille. Elle paraissait invulnérable, intouchable. Elle était divine, d’une délicieuse féminité guerrière et pourtant on ne lisait aucune fierté sur son visage. Elle gardait ses yeux baissés sur les pieds de Basileo de sorte qu’il pouvait garder toute puissance sur elle.

« - Je voudrais vous rejoindre à bord. »

Les autres filles ainsi que la patronne la regardèrent avec des yeux ronds. Une des leur qui voulait se faire pirate ! Elle était folle, elles étaient mieux au chaud qu’à risquer leurs vies, et de toutes façons elle n’avait pas la moindre chance d’être acceptée à bord. Rien que le fait d’être une femme aurait du éradiquer ses éventuels espoirs. Les marins quant à eux, gloussèrent bêtement.

« - Une catin avec les Crudeli ! Qu’est ce que tu crois ma poule ? Qu’une putain va monter à bord ? Roulure !» braillaient-ils.

« - Je ferais tout ce que vous ne voulez pas faire. Je vous prouverai mon endurance.»

Mais quand ils commencèrent à vouloir se lever pour la bousculer, le Capitaine les interrompit.

« - Taisez-vous bande de gueux. »

La jeune fille leva ses yeux remplis d’espoir vers lui, le visage encore couvert de perles pourpres qui glissaient le long de son cou blanc.

« - Une boniche pourrait toujours nous être utile. »

« - Une femme, Capitaine ! Sans vouloir vous manquer de respect, c’est une femme, une femme ! » se risqua un matelot.

« - En effet, belle remarque Jacopo. Mais elle n’a pas mentionné qu’elle souhaitait faire partie des Crudeli, mais seulement qu’elle voulait nous rejoindre à bord. » précisa-t-il, un sourire narquois se dessinant sur le coin de ses lèvres.

« - Je serai votre servante si vous m’acceptiez. »

Les matelots étaient stupéfaits rien qu’à l’idée que le Capitaine hésite à l’engager, eux qui avaient tant peiné pour se faire une place au sein de l’équipage. Ils se sentaient comme trahis, et adressaient à Basileo des regards interrogatifs et inquiets.

« - Tu te plieras à chacune des instructions que chacun de nous t’ordonnera, même les mousses. Tu ne broncheras pas et ne te plaindras jamais. Si un jour je t’entends râler, je te jetterai du pont. C’est à prendre ou à laisser. »

Les marins n’en croyaient pas leurs oreilles, bien qu’ils n’auraient jamais accepté une telle offre, sachant comme la vie était dure au début à bord du navire du Capitaine. Ils se rappelaient de la vie de chien soumis et de limace rampante qu’ils avaient du subir en silence pour se faire respecter de Basileo et des autres. Tout le monde passait par là.

« - Je prends, mon Capitaine. » répliqua la jeune femme sans même hésiter une seule seconde.

 

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