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Sur les mains '' ''
20 décembre 2008

I Crudeli di Bosa Marina (2)

2.

 

I Crudeli partirent le matin suivant, après avoir passé la nuit avec les filles de l’Ofelia d’amore. Elle seule s’était retirée. Elle s’était promenée dans les rues de Bosa Marina qu’elle avait parcouru des milliers de fois ces deux dernières années. Elle avait longé le port, désert au beau milieu de la nuit, ne voyant que les mats des bateaux les plus proches tanguer comme des somnambules au rythme des vaguelettes. Le bruit de l’eau contre les coques, celui de vieux bois qui craque, et les battements de son cœur. Quitter une ville, elle savait le faire, mais à chaque fois elle ressentait ce pincement de nostalgie qui lui piquait le ventre malgré elle, mais sa joie profonde de prendre le large avec des pirates barbares et de découvrir le monde sous les ordres du Capitaine Basileo lui avait fait oublier sa mélancolie et l’avait plongée dans une rêverie envoûtante. Elle était prête à tout, elle se sentait le courage d’affronter toutes les épreuves qui l’attendait, aussi dures qu’elles le seraient sûrement. Elle n’avait averti personne de son départ, et n’avait préparé aucun bagage.

Ils embarquèrent à l’aube. Le ciel était rouge et pommelé de nuages encore ensommeillés. Les quatorze matelots se tenaient sur le quai, affichant des yeux cernés et des moues de gueule de bois, les mines grises encore de leur soirée de saoulerie. Ils portaient des lambeaux de vêtements mais ne frissonnaient pas malgré la fraîcheur de l’aurore qui apaisait dans la ville les agitations de la veille. Ils commencèrent à monter en fil indienne dans le navire, titubant et pestant contre le moindre pavé, la moindre planche de bois sur lesquelles ils manquaient de trébucher à chaque pas. Le vaisseau, abordé au ponton qui s’avançait dans l’eau claire, rendait tous les autres bateaux ridicules. Il était construit entièrement en bois sombre, et arborait au devant de sa proue la gueule ouverte d’un requin d’argent affichant des longues dents saillantes. Il n’était pas nommé comme les autres, sa présence seule suffisait à comprendre sa personnalité. Il semblait dominer la ville, du port jusqu’au clocher, imposant le respect par son allure et sa grandeur. Trois grands mats défiaient le ciel, ils paraissaient frôler les nuages dans leur splendeur et leur immensité ; même les oiseaux du point du jour se taisaient, certains slalomaient silencieux entre les voiles repliées du bateau, tandis que d’autres, fiers, se posaient sur les cordages, observant de haut le village sur la colline sarde. La jeune fille, l’âme chavirée après sa promenade nocturne, regardait la scène avec admiration sans en croire ses yeux. Enfin… Elle s’avança avec entrain de la passerelle pour monter à bord, en suivant l’équipage, mais une voix étranglée cria son nom derrière elle. C’était Ofelia qui la priait de venir lui dire au revoir.

« - Viens là, ma chérie. » Elle la serra dans ses bras tièdes encore de la douceur du lit.

« - Tu sais, je tenais à te dire… Voila, comment t’expliquer… Je sais que tu tiens à monter dans ce bateau. » bafouilla-t-elle.

Ses joues s’empourprèrent d’inquiétude maternelle, ses yeux brillants regardaient la jeune femme avec anxiété.

« - Je sais ce qui se passe. Tu sais, on a toujours envie de croire à nos rêves de petite fille, on ferait tout pour les réaliser, mais on ne se rend pas compte qu’en réalité… En réalité c’est vraiment différent. On croit savoir, mais… Ecoute, je connais bien Basileo, et, je sais ce qu’il aime et comment il agit. Tu devrais réfléchir plus longtemps, je m’inquiète pour toi, les filles s’inquiètent pour toi, on s’inquiète toutes pour toi, tu risques de faire l’erreur de ta vie. » Elle avait parlé avec une voix moralisatrice et semblait sincèrement préoccupée. La jeune femme, elle, prit dans les siennes les mains potelées d’Ofelia.

« - Je reviendrai. »

Elle courut en direction de la passerelle où les matelots se dépêchaient de monter de peur de rester seuls sur le quai. Elle y grimpa sans même jeter un dernier regard en arrière. A présent seulement quelques mètres la séparaient de l’immense bateau. Chacun de ses pas était décidé et de plus en plus affirmé. Lorsqu’elle posa son pied sur le plancher du navire, elle éprouva une sensation d’immense satisfaction. Elle était réellement sur le bateau, et pouvait l’observer de l’intérieur. Elle passa sa main sur les rampes de bois vernies et sentait sous ses doigts le caractère à la fois lisse et noueux du bois. Elle regarda au dessus de la rambarde et aperçut un jeune garçon encore sur le ponton, il semblait minuscule vu de si haut. Au signe du Capitaine, il libéra le bateau des cordes qui le maintenaient retenu au bord, puis s’accrocha à l’une d’elles comme à une liane, et rejoignit l’équipage en deux temps trois mouvements avec une habileté de singe. Ses cheveux blonds et ses yeux clairs comme l’eau lui donnaient un air d’ange, mais ses genoux et ses mains étaient écorchées autant que celles des autres pirates, à bord depuis des années. La jeune femme se mêla à l’équipage dans un mélange d’appréhension et de volonté certaine. Elle n’était pas la plus petite ni la plus jeune, il lui sembla qu’elle était plus âgée que quelques uns, dont le jeune singe blond. Cependant, le fait d’être une femme la différenciait beaucoup, elle ressentait que malgré ses efforts pour se confondre avec les matelots, son inexpérience ne passait pas inaperçue. Le Capitaine s’approcha d’eux.

« - Pas de vent, vous savez ce que ça veut dire. On fera un point une fois sortis du port. »

Il y avait deux escaliers, l’un au devant du bateau, l’autre à l’arrière, vers lesquels les marins se pressèrent. Elle sentait alors le bateau qui commençait à se mouvoir et regarda le requin étincelant qui pointait de ses dents le soleil fauve émergeant de l’horizon. Trois matelots étaient restés sur le pont et tirèrent avec force sur les cordages en dénouant les ficelles. Les voiles déployées, mais inertes car il n’y avait pas suffisamment de vent pour les animer, le navire sans nom glissait vers le large.

« - Tu n’es pas dispensée Minaude ! » lui hurla-t-il.

Elle rejoignit alors les matelots qui étaient descendus. Après avoir dévalé le long escalier dans lequel traînaient seaux, cordes et bouteilles vides, elle entra dans une immense pièce où deux rangées de cinq bancs de bois étaient alignées, ne laissant qu’un étroit passage entre elles. Il n’y avait aucune fenêtre, et les seules ouvertures sur l’extérieur venaient des fentes qui permettaient à de longues rames d’atteindre la mer. Les bancs étaient tous occupés, chacun des marins s’asseyait à une place qui semblait déterminée d’avance. Tous saisirent les rames et s’exécutèrent dans une rapidité qui la surprit. Elle ne su où s’asseoir, car il n’y avait aucun siège de libre, elle hésitait entre demander à quelqu’un ou s’asseoir n’importe où lorsqu’un jeune homme l’interpella.

« - Viens là, tu m’aideras. »

Elle s’assit alors à ses côtés. Sa peau était brune et ses cheveux très sombres, il maniait la rame avec prudence et savoir faire. Il lui indiqua d’un signe de tête comment positionner ses mains sur la barre. Elle suivit son conseil et l’imita, ils ramèrent en silence, soufflant d’effort aux mêmes moments.

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