I Crudeli di Bosa Marina (11)
La fête se termina au petit jour, les
matelots regagnèrent leur cabine et s’endormirent dans leur paresse d’hommes
repus, une vague odeur d’alcool flottant tout autour d’eux. Lorsqu’ils se
réveillèrent dans l’après-midi, la jeune fille leur apparut comme étrangère.
Ils avaient tous eu vent de ses miracles, pour ceux qui ne les avaient pas vu
de leurs propres yeux, et elle entendait chuchoter « la Tranchante »
lorsqu’elle passait près d’un groupe de pirates, plongés encore dans leurs
exploits de la veille, qui tentait de donner un nom à cette combattante d’abord
invisible. Elle sentait se poser sur elle des regards d’admiration interdite,
les matelots ne savaient pas comment réagir, partagés entre le dédain, la
jalousie et la surprise. Elle aperçut au loin, adossé au mât qui portait le
gong près de l’escalier Nord, Luigi, pensif. Elle vint s’asseoir à côté de lui.
« -
Alors, la Tranchante est fière ? » lui demanda-t-il, un petit air
narquois sur le visage.
« - Il
n’y a pas de quoi. Tu sais, j’ai toujours fait ça, je veux dire, depuis
quelques années, c’est juste que personne ne me voyait. Pour moi ça ne change
rien. »
Mais à la
vue du Capitaine Basileo qui avait l’air aussi méprisant qu’avant par rapport à
la performance de la jeune fille, il se rassura, se radoucit, et ils se
racontèrent en détail leurs versions de la prise de Ciutadella. Virgilio, passa
devant eux, et d’un signe de la tête il invita la jeune fille à le suivre. Elle
se fit docile et, sans protester, s’engouffra avec lui dans la cabine, vide à
présent. Lorsqu’elle fut agenouillée et en possession de la masculinité du
vieux pirate, elle mordit le bout de sa verge, ses canines transperçant la
chair intime du Matelot. Un cri de douleur extrême retentit dans le calme de l’après-midi
ensoleillée, il tomba à terre et la jeune fille lui recracha à la figure la
pièce manquante du puzzle de son corps en quittant la cabine sombre.
Les deux
Capitaines parlaient à voix basse à l’avant du bateau, au-dessus du requin
d’argent qui ornait la proue et dévorait de ses dents la Méditerranée
originelle.
« -
Ecoute, je voulais te parler de la gamine. » commença timidement le
Sous-Capitaine.
Immédiatement
le Capitaine Basileo regarda son ami d’un air méfiant.
« - On
peut en faire quelque chose. Laisse moi continuer. » poursuivit-il en
empêchant Basileo de lui couper la parole.
« - Tu
as entendu Francesco et Umberto. Si c’est vrai, elle a du potentiel, mais je
doute de la réalité, on exagère toujours les succès, surtout avec un coup dans
le nez, mais cette petite a l’air douée. Je voulais ton avis. »
« - C’est une femme et elle n’a pas suivit notre apprentissage. Elle n’a pas un caractère de pirate, tu sais, elle ne semble même pas intéressée par l’argent et n’a pas hésité à se soumettre plusieurs fois. Regarde seulement comme elle s’est platement livrée aux marins. »
Le
hurlement de Virgilio leur fit tourner la tête vers la cabine d’où ils virent
sortir la jeune femme de sa démarche humble et gracieuse. Le Capitaine sourit
en l’air, il venait d’être contredit par un magnifique concours de
circonstances.
« -
Bon. Je voulais t’en parler aussi, je l’ai vue dans l’église. Elle a mené les
combats avec autant d’acharnement et de technique que plusieurs de nos
Matelots. Je te promets que le récit de Ciccio est très probable. J’ai vu
devant moi les têtes des Turcs voler et les corps s’allonger. »
Il semblait
troublé, il ne savait pas quelle décision prendre.
« -
J’ai l’impression que je ne peux pas faire ça aux Crudeli, leur rajouter
comme ça une femme qui est avec nous depuis quelques jours seulement… »
Bartolomeo
aussi restait perplexe. Il ne pensait pas qu’un jour le Capitaine serait
impressionné par quelqu’un, et, lui qui le connaissait par cœur, il se sentait
alors étranger à cet homme si respectable qui pour une des premières fois
n’avait pas de réponse immédiate. Ils débattirent pendant encore un long
moment, et à la tombée de la nuit, à l’heure de la réunion du soir, ils se
levèrent face à l’assemblée.
« -
Nous avons deux nouvelles à vous faire part, camarades. » entama le
Capitaine Basileo.
« - La
première, c’est notre destination. On va vers Tripoli où on fera une escale
pour reprendre des forces et des vivres, pour aller conquérir Constantinople. »
continua le Sous-Capitaine.
Les pirates
écarquillèrent leurs yeux ravis au nom de Constantinople, cette
ville-merveille, à chaque fois ils se réjouissaient des nouvelles perspectives
que leur Capitaine leur offrait.
« - La
deuxième nouvelle, est plus étonnante. »
Le Capitaine Basileo marqua une courte pause.
« - I Crudeli s’agrandissent aujourd’hui d’un
nouveau membre. »
Un souffle de stupéfaction traversa le groupe de pirates,
qui dans la nuit tombante ressemblait, par leurs yeux illuminés, à la lueur
d’une lanterne dans la pénombre d’une forêt. Basileo s’adressa alors à la jeune
fille :
« - Allez, lève toi, vite. »
« - La Tranchante est notre seizième Crudeli. »
Les Capitaines lui serrèrent la main comme à un homme avec un mélange d’appréhension et de satisfaction. La joie la saisit tout entière, elle était fière, heureuse et en même temps sentait une lourde responsabilité peser sur ses épaules. A présent, elle n’avait plus le droit à l’erreur. Mais elle se sentait prête et les remercia d’un sourire reconnaissant. Les marins, eux, se sentaient dépossédés car leur rang était la seule chose qui les élevait au-dessus de cette inconnue arrivée subitement, mais savaient, au fond d’eux, qu’elle méritait son baptême. Ils l’avaient vue peiner les premiers jours et resplendir le dernier soir, ils ne l’auraient jamais admis, par orgueil, mais ils savaient qu’elle valait même mieux que certains d’entre eux.
Le silence gêné qui emplissait l’atmosphère embarrassait la jeune pirate et Zaccaria, nouvellement complice de la Tranchante, applaudit dans l’air calme de l’heure sombre. Il fut rejoint par Luigi, puis Francesco, puis Umberto, puis Ilario et puis tous les autres qui avaient dorénavant un nouveau collègue en face d’eux.
« - Ne t’emballe pas, tu n’es que Mousse. » murmura Basileo à l’oreille de sa nouvelle élève.
« - Flavio, va chercher le matériel. »
Lorsqu’il
revint, il allongea la jeune guerrière sur le sol et déchira sa tunique au
niveau de la poitrine. Vasco, Vittore et Umberto étaient chargés de la
maintenir au sol et de tendre sa peau. Ubaldo était le plus minutieux et
commença la procédure. A l’aide d’un os d’oiseau, d’un maillet et d’un pot
d’encre et de cendres, il dessina sur le corps de la jeune femme. Une heure
plus tard, le gouvernail entremêlé des deux haches mythiques marquait la
Tranchante à vie entre ses deux seins chétifs.